Qui est Boris Tissot ?

Pour Boris Tissot, la sculpture, c’est du gâteau, et il est passé expert en la matière. L’art bonne pâte est né sous sa dextre gourmande et la postérité mangeable. Une expérience du jeu, des instants sucrés de la vie pétrie par le temps, de la marionnette (avec le peintre Jacques Voyet, Romanita et la troupe du “Bread and Puppet Theater” à Coney Island, New York) du théâtre (avec la comédie de la Loire et les auteurs François Billetdoux, René de Obaldia, Armand Gatti) a conduit cet autodidacte à remettre le monde en scène au “pays des merveilles de Juliette”.

Il a choisi le biscuit, le sucre, la pâte d’amande, le chocolat comme d’autres ont décidé d’utiliser le marbre, le bronze, le bois, l’or… Il modela ainsi avec patience tout un peuple de figures expressives, oeuvres éphémères colorées. Le matériau périssable toujours en mutation permet de créer une émotion, un étonnement : il se fait, s’use, s’effrite, se casse, se mange.

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Quelques repères

En 1977, “la Boutique aberrante” de Daniel Spoerri au Centre Pompidou présente ses personnages insolites. Boris Tissot reçoit, la même année, au centre culturel américain à Paris lors d’un “Rendez-vous d’humour” la coupe de l’humour décernée par Desclozeaux et Topor. Présent au Musée des Arts Décoratifs pour “Sucre d’Art”, pour l’exposition “Bonbon ?” à Châlon sur Saône. En 1978/1979, l’exposition « Le temps des gares » au C.C.I du Centre Pompidou révèle « Attente » une réalité de notre quotidien.

Il obtient en 1980 l’aide à la première exposition du Ministère de la Culture pour son exposition chez Caroline Corre, au Bar de l’Aventure, à Paris. En 1981, il participe chez Nina Dausset à la Banque d’Images pour la Pologne.

En 1982, à l’école des Beaux-Arts de Tours “Tours multiple”, ses personnages sont kidnappés, d’autres affichés par Art Prospect à Paris.

On les retrouve en 1983 au Musée d’Art Moderne du Centre Pompidou pour un hommage à Manet (fraisier, pâte d’amande, biscuit) dégusté le jour du vernissage.

En 1984, le Centre Pompidou présente ses « îles flottantes » à l’Atelier des enfants et il crée une sculpture gourmande pour l’anniversaire de Lilian Gish, star d’Hollywood en reprenant les personnages du film “The Two sisters ». En 1985,  il propose « Le Mot à la bouche », une approche ludique et gourmande de la lettre pour le public de l’Atelier des enfants du Centre Pompidou. En 1986, il crée le décor de table du spectacle de la Péniche Opéra “Les plaisirs du Palais” et en 1988, l’anniversaire de la Galerie V.I.A à Paris. La même année, il donne une identité nouvelle aux filles de La Rochelle : des sirènes en pâte d’amande couleur turquoise.

En 1989 pour le bicentenaire de la Révolution, il invente “la révolution mange ses Boris_Tissot-Bjr M Manetenfants” un biscuit, portrait de Danton, tiré à 1989 exemplaires pour le Centre d’art contemporain  d’Avranches avec la complicité de la biscuiterie de la baie du Mont St Michel. Boris Tissot chercherait-il la recette de l’homme, le dur à cuire ?

Puis il s’envole pour le Musée des enfants de Seattle créer une œuvre, in situ, invité par des collectionneurs arméniens. La Galerie V.I.A. l’invite à nouveau en 1992 à danser le cake-walk, cour du commerce St André à Paris. Création de 12 chaises en sucre à partir de la chaise de Van Gogh qu’il expose aussi au Festival des arts de la Table à Roanne. Au premier Salon du Livre de Moulins, le public déguste la Bibliothèque idéale : 500 livres miniatures de 10 cm sur 7 cm en pâte d’amande.

En 1994, pour le Musée d’Orsay, il crée le “Pompon gourmand” tirage 3000 exemplaires en pâte d’amande, chocolat blanc offert au public de l’exposition Pompon. Pour le patrimoine de la société Lefèvre Utile, il crée le “LUtin” à Honfleur. Il se place dans une modernité qui souvent utilise les matériaux éphémères et comestibles : Du pain peint ou blue bread de Man Ray en 1958, à la Sculpture-morte de Duchamp en 1959, aux Campbell’s soup de Warhol 1962, aux Sucres taillés par Christian Boltanski, sucre en forme de signe ou pointes de flèches en 1970, au sac en pain d’Eric Dietman, à la Galerie Eat Art de Spoerri ouverte à Düsseldorf en 1970, aux coulées de bonbons de César et à Candy d’Arman, accumulations de cuisses roses en pâte d’amande en 1970, à Sugar Arch de Dorothée Selz en 1988, à la Maison de riz, la Pierre de lait de Laïb en 1989…

A l’automne 1997, boursier de la Villa Kujoyama à Kyoto, il découvre le Japon.

En 1999, il présente la “Maison du T” avec ses collections et ses secrets lors de la biennale d’art contemporain d’Issy-les-Moulineaux : il offre une dégustation de thé chinois Gong-fu-cha avec la complicité de l’association “Terre de Chine” et un entremet “taoiste” au chocolat et thé vert. Le début d’une nouvelle aventure…

Boris Tissot est de ces vrais artistes qui gagnent leur pain en faisant de la brioche. Imaginez Proust travaillant à même sa madeleine, la pétrissant, la coloriant, pour lui donner les traits d’Albertine ou de Madame Verdurin… Compagnon de Miro mais aussi de Poilâne, de Troisgos et de Lenôtre, Boris Tissot dans son rêve de sucre et de douceur et dans l’acide de ses thèmes déplace l’inquiétude que nous avons d’être mortels.

Les musées, les galeries, les coffres de banques ne contiennent que des miettes de pâte brisée qui voisinent avec les chefs-d’œuvres et les croûtes. Après tout, la vie de nos âmes est une question d’appétit. A table !

Paul FournelEcrivain, extrait du livre Iles Flottantes

Pour Boris Tissot, la vie, la mort, la réalité, le rêve fondent comme du sucre sur la langue. Nous sommes libres de le refuser. Libres de ne pas manger ces œuvres, çonçues comme des cadeaux d’anniversaire, ou des gâteaux pour les fêtes. Libres de les regarder du même œil inquiet, fasciné, que nous regardons les têtes de mort en sucre des Mexicains. Comme une forme, individualisée, presque clandestine, de folklore populaire.

Donc comme des signes universels de culture. Mais alors si c’est le cas, cela voudrait-il dire que nous continuons en cette fin du XXe siècle après toutes les révolutions accomplies par Dada, le surréalisme, les happenings, l’art corporel, à séparer radicalement l’art de la vie ? Question à poser et que sans y répondre, Boris Tissot pose aujourdhui mieux que personne.

Alain JouffroyCritique d’art et écrivain